Orange, noir et bleu avec des coulées d'or

Publié le par Thibault

"C'est pas qu'on se sente différent
 Ou bien qu'on juge la vie
 Mais qu'est-ce qu'on se sent loin des gens
 Quand on survole la ville sur son tapis"

   Tryo


 Bula !

 Le séjour à Futuna se révéla bien pâle après l'escale d'Alofi. Quelques jours pour faire la connaissance de cette île minuscule. Le gendarme qui tamponna nos passeports nous avertit d'emblée que la tradition était ici bien plus présente que la loi républicaine. Il paraissait désabusé, royalement ignoré par la population. Un jour qu'il faisait un tour avec un garde-forestier, ils aperçurent du sang sur un chemin. Une rapide enquête auprès du voisinage leur apprit que le matin même, un gamin de quatre ans était mort, renversé par une moto - et qu'il était déjà enterré sans autre forme de procès..

 L'île possède une petite piste d'atterrissage. Lors de notre venue elle était hors-service : le coup de vent qui nous avait mis en fuite interdisait toute approche aérienne, rendant inutile une grève des quelques employés futuniens. La raison en était une rénovation programmée de la piste, qui en avait grand besoin - or les matériaux utilisés avaient été achetés en Polynésie et non pas à Wallis et Futuna..

 J'observai rapidement que la maigre population de Futuna se divisait en deux sociotypes bien distincts : les futuniens et les fonctionnaires (douanier, gendarmes, profs) venus de métropole, raison d'être des deux supermarchés approvisionnés en produits français à type de cassoulet.

 Je fixai donc le crachin, les routes de terre et les hauts inhabités. On pouvait randonner les crêtes sans difficulté : la végétation semblait docile en ces terres indulgentes. Puis nous levâmes l'ancre à marée haute, par une matinée grise, dans cette anse qui maintes fois m'avait rappelé la Bretagne - et cap à l'Ouest !

 La navigation se déroula sans accrocs. Nous atterrîmes sur la côte Sud de Vanua Levu, une des trois cent trente îles de l'archipel fidjien. La nuit venait de tomber et masquait à ma vue les brisants défendant l'entrée de la baie - aussi je barrai à l'oreille, un bandeau sur les yeux. Ce n'est que le lendemain que je réalisai avec l'aube comme nous avions rasé les cailloux..

 Suivit une période bénie au cours de laquelle nous fîmes connaissance avec Savusavu. Cette petite ville nous accueillit pendant une dizaine de jours ; et elle allait se montrer prodigue en rencontres, en douceur et en musique. Nous débutâmes par remorquer un pêcheur en rade sur une coquille de noix. Une fois au corps-mort de la Waitui Marina, je rencontrai Kendra et Michael, deux américains dont la majeure partie de l'existence s'était jouée dans le Pacifique Sud. Ils géraient la Marina. Ils me parlèrent longuement des Fidji, et en particulier de la hiérarchie sociale traditionnelle.

 Lorsqu'un étranger traverse un village fijdien, il est bon qu'il en demande l'autorisation verbale auprès des villageois qu'il croise. Il en va de même pour n'importe quel bout de terre ou de rivière, si l'on rencontre le(s) propriétaire(s). Si l'on demande l'hospitalité du village, les choses se corsent légèrement : il faut demander à quelqu'un d'intercéder auprès du chef. Le messager va lui porter un cadeau (on dit "savusavu") de notre part, qu'il peut accepter ou refuser. A aucun moment il ne faut intervenir dans les démarches, et ce pour ne pas forcer la main du chef. S'il accepte, on devient en quelque sorte son "vassal" et l'on se place sous sa protection. Le savusavu est généralement constitué de racines de kava, une plante dont les fidjiens tirent une boisson non alcoolisée qui rend somnolent. Une grande partie de la population masculine se retrouve chaque soir pour en absorber des litres.

 Je rencontrai également Matthieu et Camélia, deux français exerçant l'ostéopathie en Nouvelle-Zélande depuis deux ans. Matthieu jouait de la guitare, et j'empruntai celle du gardien de la marina, Paté, pour l'accompagner. Nous passâmes ainsi une journée délicieuse au bord de la plage du luxueux Cousteau Resort (monté par Jean-Michel Cousteau, le fils de Jacques-Yves) ; puis une soirée en compagnie de Sebastian et Jenny, deux allemands en voyage. Le temps filait à toute vitesse en leur compagnie, et nous les connaissions à peine qu'ils levaient déjà l'ancre en direction des Yasawas. Du ponton, je saluai en silence. Paté me souriait gravement. Quel bonheur c'était de chanter en français !

 Par une après-midi inondée de soleil, je croisai Ricky éberlué. Nous le suivions depuis Bora-Bora sur son Hallberg-Rassy. Il me confiait qu'à Neiafu, il avait continué à naviguer avec Michel ; qu'ils avaient pris cinquante noeuds de vent dans la figure un matin, à six heures. Le corps-mort de Michel avait cédé. Ce dernier s'était rué sur le moteur qui refusa de démarrer, et il jeta l'ancre à l'arrachée. Le bateau s'immobilisa à dix mètres du récif ! Ils mirent alors à la voile en direction des Fidji, et pendant la navigation, le Sud-Ouest étant bien établi, Michel décida de tirer jusqu'en Nouvelle-Calédonie où Marie devait accoucher début août.

 Les soirées au bord de l'eau se succédaient sans souçi de l'heure, même si le paysage changeait chaque jour. Tant de bateaux à faire le va-et-vient ! Je retrouvai le second de "Nordkapperen". Un autre homme depuis la fête de Neiafu : rangé, une danoise au bras.. la bouche en coeur. Ils ne s'éternisèrent pas en ville et embarquèrent à la hâte avec un américain.

 Bientôt dix jours que nous étions arrivés à Savusavu ; et dans ce pays où la moitié de la population est d'origine indienne, je n'avais pas mis longtemps à prendre goût au curry. Je savais désormais qu'au marché, kilo se disait "kadji" ; ou que les vendeurs ambulants ne gardaient pas leurs rotis au chaud, donc qu'il fallait acheter avant midi. Cependant tous ces départs me chagrinaient. Les lieux perdaient leur charme. Je dégrisais seul, quoi.

 C'est un matin qu'hypnotisé par le décollage d'un hydravion jaune, j'appris que nous mettrions à profit la journée du dimanche pour nous éclipser. Je savais alors que la journée serait consacrée à l'avitaillement et aux préparatifs. Je me dégagerais tard pour jouer une dernière fois avec Paté avant de partir danser un peu ivre dans le club du coin, entre rae-rae et belles fidjiennes.

 Thibault.

Publié dans Acte XIII - Fidji

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D
Salut Thibault,<br /> <br /> Merci pour la carte très sympa et pour l'adresse du blog, le voyage semble vraiment extraordianire, quel bonheur ça doit être...<br /> <br /> Profites bien et tu nous raconteras tout à ton retour, on a profité de ton voyage pour partir vivre à Montpellier mais vu de l'autre bout du monde ca n'est pas très loin de Paris.<br /> <br /> Bises.<br /> David
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L
Coucou les voyageurs ! rentrons tout juste de la Nouvelle-Calédonie... en amoureux car les enfants sont toujours en vacances en France. Nous sommes contents de retrouver notre Terre d'accueil "Tahiti" et sa chaleur humaine... Bon vent les marins et à bientôt pour la suite de vos aventures...<br /> PS : nous serons en Nouvelle-zélande du 4 au 27 décembre et plutôt dans le sud en camping-car avec nos petits !
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B
Hej Thibault. En liten hälsning fran Les Landes där jag hälsar pa goda vänner. De bor i ett hus omgivet (entourée) av sand. Vi har promenerat 3 timmar i sanden. Les vagues sont énormes, elles me font peur mais nous nous sommes quand même baignés. Petites aventures incomparables avec les tiennes. Merci pour ta carte. Le courrier fonctionne très bien. Ha det bra, nu dröjer det inte länge innan Julia kommer.<br /> Kram Britt-Marie
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L
Il est vraiment génial, ce carnet que tu tiens. On voyage un peu avec toi au fil des articles.
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